Merci mes antennes! A peine arrivée à la caisse de mon magasin bio préféré et habituel, une voix intérieure me dit, "Evite-le, il va t'arnaquer -j'ai des produits étiquetés à -20%- Evite-le, il te hait, il va te blesser. Demande à la femme qui te sourit -je parle régulièrement, gentiment avec elle- d'encaisser tes achats. Oui, mais elle est occupée à mettre des étiquettes en rayons. Oui, mais je crains d'être repérée comme la cliente "empêcheuse de tourner en rond". Il y a quelques client.es derrière moi. Bon, je me lance.
Je choisis la soumission : je ressens la part de moi qui sait s'écraser, se ratatiner, se mettre plus bas que terre, rentrer les épaules.
Lui, ne me regarde pas, passe les articles machinalement, me demande mon nom -pour la carte de fidélité-, -c'est toujours un exercice délicat d'épeler les lettres de mon patronyme, si difficle à prononcer. Mais d'ailleurs, pourquoi je n'arrive pas à éviter le murmure, pourquoi j'ai tant de mal à dire mon nom à haute voix?
Il me fait répéter, toujours sans un regard. Autre intuition, je lui demande le ticket de caisse : a t-il tenu compte des 20% de remise en caisse?
Devinez... et bien NON. Il a passé chaque article au tarif plein.
Je fais calmement demi-tour et prends place, patiemment, dans la file des client.es. A mon tour, je lui tends le ticket et sors de mon sac les articles en question. Je n'ai pas le temps de prononcer un mot : il a l'air de SAVOIR. C'est donc REEL!
Il a voulu ça. La guerre! Qu'à c'la ne tienne!
- "Vous auriez pu faire attention. ( Je suis toujours calme, mais je ne ressens plus mon corps, ni mes pieds, ni mes mains, ni mon buste, ni mon visage. Dans mon ventre, c'est légèrement bouillonnant. Mais je n'ai pas le temps de m'y attarder. Une part de moi s'impose : Défends-toi! Par mon dos, je perçois les personnes, plus nombreuses. )
- (Son visage toujours hostile ) Vous n'aviez qu'à me le dire!
- Non, c'est votre boulot de... (Je ressens la curiosité, l'impatience des personnes sur ma droite, derrière. Grâce à mes yeux dans le dos. Je suis figée, tout mon Etre est tendu vers ce jeune homme (qui ne m'est pas inconnu ). J'ai honte d'attirer l'attention, de perdre le contrôle. Pour autant, la femme féministe en moi m'encourage. Ne lâche pas, il veut te dominer. Tu es dans le juste. )
- ( Il m'interrompt ) : Si ça va pas, je vais chercher mon adjointe. ( Il a bondi devant sa caisse. )
- ( A son dos, je lance, sur le même ton calme. ) Oui, bonne idée. Je vais lui parler.
Fin de l'échange. Il a quitté la caisse, sans appeler son collègue pour le remplacer, la file s'allonge derrière moi. Le temps s'étire. Interminables minutes de flottement.
La responsable adjointe arrive, avenante, souriante, gentille et douce. Je la reconnais, je le lui dis, lui souris.
En mobilisant une grande énergie intérieure, je lui décris ma colère, la haine injustifiée de cet homme, son impolitesse, son mépris, sa fermeture. Répétés. Puisqu'il se conduit toujours ainsi avec moi, depuis un an. J'affirme ( toujours très calme ) qu'il ne devrait pas travailler à la caisse.
Elle est confuse, s'engage à lui parler, me rembourse, s'excuse. Pour lui! Un comble.
- C'est un malentendu. Des fois, il y a des tensions entre les personnes.
- Non, je suis une GENTILLE, moi.
Je développe, m'accroche à ma vérité. Lui décris la scène et le langage non verbal de ce caissier.
Pour finir, du regard et avec son corps en mouvement, elle m'encourage à la suivre dans la rue.
Je vois les larmes dans ses yeux.
- Non, ce n'est pas à toi d'être désolée. Il est un dominateur, je le SAIS. J'ai l'expérience et les antennes pour les repérer. Il ne supporte pas d'être contredit. Il se croit jugé pour une simple erreur. ETC
Et je répète. Je ne peux plus m'arrêter, mes paroles fusent, mes pensées s'entrechoquent. Cette fois, je la sens bien monter, mon émotion ( venant du coeur ) : la tristesse profonde, mélangée au désespoir, à la souffrance d'être incomprise et mal-aimée, mélangée à la colère et à la fatigue.
Si je laissais s'amplifier ces émotions, je vivrais un énième effondrement autistique.
Je contiens le trop-plein émotionnel : je me concentre sur son langage non verbal, je bois de l'eau. Et j'illustre mes ressentis par des exemples. Je lui dis ma haute sensibilité, mes caractéristiques d'autiste. J'ai retrouvé ma respiration, à l'air libre. Je plaisante, en lui décrivant la complexité et l'intensité de mes émotions, de mes ressentis. Nous rions ensemble. Elle est en vacances ce soir.
J'ai rencontré Justine. A son retour, nous irons manger ensemble une glace à la rhubarbe.
Ce qui peut sembler une banale histoire est pour moi, et pour beaucoup de neuroatypiques ... une AVENTURE..